L’Origine du monde est une bande dessinée réalisée par l’auteure suédoise Liv Strömquist et publiée sous le Signe Noir de Rackham. Très engagée et féministe, elle aborde de nombreux sujets encore trop peu remis en question dans nos sociétés.
L’Origine du monde : de quoi ça parle ?
L’étude des « organes féminins » dans l’histoire
Dans le premier chapitre de L’Origine du monde, Liv Strömquist propose un petit récapitulatif rapide, mais nécessaire, des hommes qui se sont un peu trop intéressés à ce qu’on appelle « les organes féminins ». Elle illustre un top 10 très intéressant, qui permet de mieux comprendre la situation actuelle des femmes. Voici quelques scientifiques (il avait vraiment un diplôme le mec ?) ou philosophes (Cogito ergo sum, mais pas pour tout le monde a priori) dont les pratiques m’ont (un peu) agacées :
- le Docteur Baker Brown qui, en tant qu’opposant convaincu à l’onanisme féminin, s’est dit que l’ablation du clitoris (ou clitoridectomie) était la solution la plus simple contre la masturbation féminine ;
- le psychologue et sexologue John Money, fervent défenseur de la dualité des genres. Selon lui, entre le noir et le blanc, le gris n’a pas sa place ;
- de l’apparence de la vulve des femmes avec Georges Cuvier. Il est l’auteur de la théorie selon laquelle la taille des petites et des grandes lèvres serait liée à l’évolution. Sous-entendu, plus les lèvres sont grandes, moins l’individu est évolué. Il tentera ainsi de démontrer l’infériorité du peuple noir avec Avce Baartman.
De l’anatomie du sexe féminin
Liv Strömquist aborde ensuite l’anatomie du sexe féminin. Un sujet qui, nous le savons toutes et tous, est très largement d’actualité. Et pour cause, c’est seulement en 2017 que le clitoris apparaît enfin dans les manuels scolaires. Elle retrace l’histoire de cet organe trop souvent dénigré. On peut notamment lire les considérations de Sartre : “Mais c’est qu’avant tout, le sexe est un trou (…) c’est un appel d’être comme d’ailleurs tous les trous ; en soi, la femme appelle une chair étrangère qui doive la transformer en plénitude d’être par pénétration et dilution.” Merci Jean-Paul, mais non merci. Les femmes comblent très bien ce manque toutes seules.
La partie externe de la vulve est longtemps passée sous silence, limitant le sexe de la femme a un organe simpliste et sous-développé. Sauf qu’on apprend aussi que, dans l’Antiquité, la vulve était vénérée ! À tel point que les représentations divines de certaines cultures possédaient une vulve surdimensionnée, tellement caressée qu’elle en était polie. Est-ce que vous aussi ça vous tente, un petit voyage dans le temps ? Attendez de lire la suite…
L’Origine du monde et de l’orgasme féminin
Au Moyen-âge, il était dit que pour faire en sorte qu’une femme tombe enceinte, il fallait la faire jouir ! Si c’est pas beau ça, hein ? Liv Strömquist nous apprend aussi que les mœurs de l’époque étaient principalement dictées par la religion chrétienne (amen). Le vagin est alors qualifié de pénis sous-développé ou d’organe non abouti. Nos deux sexes sont cependant considérés comme similaires, sans grande différence. Les femmes, sexe faible ? C’est aussi l’époque de la chasse aux sorcières, fortes et indépendantes. Coïncidence ?
À la fin du XIX siècle, la science prend progressivement le pas sur la religion. Une aubaine pour certains, une opportunité ratée pour d’autres. C’est à ce moment-là que la scission entre le sexe masculin et le sexe féminin opère. Les scientifiques s’obstinent à vouloir tout mettre dans des cases bien définies. Une vision lisse et limitée qui aboutira à une rupture dans la considération de la sexualité :
- la sexualité des femmes est faible voire inexistante et l’orgasme féminin est difficile à atteindre ;
- la sexualité masculine est puissante et indomptable, et l’orgasme masculin est facile à obtenir.
Est-ce que ça ne rappelle pas la société d’aujourd’hui ? Merci la science !
Enfin, Liv Strömquist met à mal les stéréotypes de la société d’aujourd’hui : “T’es plutôt vaginale ou clitoridienne ?”. La seule réponse à cette question est clitoridienne. Pourquoi ? Parce qu’il est possible de stimuler le clitoris de l’extérieur ET de l’intérieur, d’où le point G. On dit merci à Freud pour ces préjugés, dont les propos étriqués ont longtemps obstrué la sexualité féminine. Au siècle dernier, il soutenait encore que le plaisir de la femme ne devait passer que par la pénétration vaginale. Adieu le clitoris.
Les règles et le SPM
Liv Strömquist clôture sa bande dessinée en abordant les règles et le SPM (Syndrome Pré-Menstruel). Deux sujets tabous, qu’elle aborde sans détour. Et non, les règles ça n’est pas sales et les femmes ne se transforment pas en sorcières pendant celles-ci. Le SPM pourrait même être considéré comme une opportunité, un temps d’introspection et de retour à soi. La puissance des émotions pendant cette période favorise la créativité et la réflexion (ça mériterait un article à part entière).
Ainsi, la sexualité féminine, après avoir été considérée comme l’homologue faible du plaisir masculin, puis son contraire sera peut-être un jour considérée à part entière.
Mon expérience de lecture
Bref, tout cela n’est qu’un aperçu. Je vous conseille vivement la lecture de L’Origine du monde Liv Strömquist : on apprend plein de choses et c’est drôle. Le point de vue de l’auteure est très pertinent et toujours très documenté. Toutes les sources qu’elle cite sont mentionnées dans la bande dessinée. Ses illustrations sont variées, colorées et très expressives. Et puis quoi de mieux qu’une BD pour parler de tels sujets ?
Pour ma part, j’ai mis du temps à terminer cette bande dessinée. Habituellement je ne suis pas une grande adepte de ce format de lecture, mais quand ça aborde des sujets féministes ça me va bien. Enfin, plus on avance dans la lecture de la BD, plus on a envie de revendiquer les droits des femmes / du clitoris. À chaque fin de chapitre, j’étais presque en colère ! En tant normal, mes articles lectures sont relativement courts, mais pour celui-là je me suis laissée portée par le flow. Il y a beaucoup à dire, d’où la longueur inhabituelle de cet article. J’espère néanmoins vous avoir donné envie de lire cette superbe bande dessinée.
Hisse ton clitoris !
Mon avis :
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